Les ailes du passé (Flashback pv Kayle)

Soir d’automne, une autre journée monotone en a suivi une autre et elle sera probablement suivie de la même façon. Il fait calme ; le ciel gris domine la terre et laisse tomber en guise de menace orageuse quelques gouttes de pluie par-ci par-là. Dans les rues sombres de Noxus un jeune garçon plutôt maigre pestait, impossible pour lui de trouver ce que lui demandait la maîtresse le matin même. Il frissonna à l’idée de rentrer bredouille et s’enfonça dans les ruelles les moins nettes des bas-fonds, un endroit qu’il aurait préféré éviter … Il fouilla les moindres petits commerces, s’adressa aux gens les plus louches, ceux qui pouvaient vous vendre n’importe quoi pour peu que vous y mettiez le prix. Cependant, personne ne put l’aider et il n’eut d’autre choix que de rentrer avec la moitié des éléments demandés.
Il prit la direction de l’immense bâtisse de laquelle il était venu, poussa la porte massive en essayant de se faire le plus discret possible et déposa le panier qui se trouvait être bien vide. Il voulut grimper les escaliers afin de se glisser dans la petite pièce qui lui servait de chambre. Il fut cependant interrompu par la voix  rêche de la maîtresse de maison. « Tu arrive bien tard … Tout est là ? Apporte-moi ce que je t’ai demandé. » Il fit donc demi-tour et avança vers la provenance des paroles. La dame se trouvait devant le feu, éclairée uniquement par celui-ci. Il lui apporta tête basse les quelques sels magiques qu’il avait pu trouver, bredouillant des excuses incompréhensibles pour espérer apaiser sa déception, voire sa colère.
Dans l’âtre, la couleur de feu orangé vira au violet, projetant des ombres disproportionnées des deux silhouettes, d’une part celle d’un frêle garçon et de l’autre, une personne avec une immense paire d’ailes, dominant le pauvre humain. « Laisse-moi t’expliquer pourquoi cela était si important … » Le garçon eut un geste de recul, il avait déjà entendu cette histoire, et savait qu’il n’était pas bon qu’elle soit racontée.

Il fut un temps où les ailes décharnées que tu vois furent magnifique, vêtues de plumes d’un blanc éclatant. Moi aussi j’avais une famille avant. Mais le monde lointain dans lesquels je vivais ne m’a pas permi d’en profiter longtemps. La guerre qui rongeait déjà ces lieux à l’époque a eut raison d’eux. Moi et ma soeur nous étions avec eux la nuit de leur mort. Les soldats entraient par dizaines dans les maisons, éventraient ou capturaient ceux qui avaient la malchance de se trouver sur leur chemin avant de mettre le feu aux habitations. Ce soir-là, les deux enfants, nous étions cachées dans une petite pièce à côté, nous avons tout vu, tout entendu et pleurer toutes les larmes du corps que des enfants puissent laisser couler sur leur joues. Mais cela n’est pas important n’est-ce pas ?

Elle adressa son regard vers le pauvre garçon qui ne savait comment réagir face à ce conte morbide. Il nia de la tête, balbutiant de façon incompréhensible. La flamme mauve variait avec les paroles de l’ange déchue, elle était à ce moment là particulièrement petite, éclairant à peine la pièce. Seules ses yeux remplis de haine et le tatouage qui cernait l’oeil gauche étaient visibles, le reste du visage se cachant dans la pénombre.

Malheur … Horreurs … misères … Nous avons continué de grandir seules, dirigées par mon aînée. Celle-ci avait pris la place de notre père en tant que chef des lieux, reconnue grâce au sang familiale par tout le peuple. Elle se révélait habile au combat et menait les troupes.avec talent selon les rumeurs des soldats. Elle devenait celle qui terminerais cette guerre. Moi j’étais dans son ombre, plus elle avançait dans la lumière et plus on m’effaçait, plus on lui donnait de lumière et plus j’étais dans l’ombre. Elle était adorée, adulée par tous au fil des années là ou je fus simplement oubliée. Mais je ravalais ma fierté, pensant que cela était nécessaire au bien de tous.

Cependant un jour fut glissé sous ma porte une enveloppe, contenant ces mystérieuses paroles ; “À minuit dans les jardin, si un oiseau roucoule et la colombe bat des ailes si elle l’attend.” Pourquoi m’avait on adressé ce message si surprenant ? Peut-être un amant mystérieux qui venait me faire la cour ? Qui que ce soit, cette fois-ci quelqu’un s’intéressait à moi, la cadette ? Je passai la journée à y penser, retournant ces mots dans tous les sens. Le soir même à minuit j’étais dans les jardins, coiffée, parfumée et tendant l’oreille au moindre bruit.  
Il faisait frais dehors, une brise légère et humide transportait les parfums fleuris des lieux à mes narines. A l’heure donnée, j’entendis le roucoulement et, en guise de réponse je battis des mes grandes ailes, à l’époque d’un blanc immaculé. Puis , rien … Plus un bruit … Pas un mouvement aux alentours. Mon rendez-vous était tombé à l’eau. J’attendis encore quelques instants avant de m’en retourner vers ma chambre et ma solitude au passage. Mais une main se posa alors sur mon épaule et une autre sur ma bouche, étouffant mon cri de surprise. Mes pieds se décollèrent du sol, on m’emmena plus loin, à l’écart de ma résidence, là où plus personne ne me viendrait en aide. L'atterrissage se fit dans une clairière, dans la pénombre. Mon ravisseur se dévoila à moi, le visage caché sous un masque. “Désolé pour ses précaution Madame, mais cela était nécessaire. Je sais que vous êtes celle qui libérera les oppressés. Excusez moi pour la suite aussi …” Avant que je ne puisse faire le moindre mouvement il posa sa main sur ma tête et je sentis une douleur me traverser les tempes. Un voile noir se déposa devant mes yeux, je ne voyais plus. Les bruits se tapissaient et mon corps devenait semblable au coton. Je tombais …

Quand je rouvris les yeux, j’étais dans mon lit moelleux aux draps soyeux. Je savais que ce n'était pas un rêve … Il y avait quelque chose de dur sous mon coussin, un rectangle emballé dans du tissu. Je déballai l’objet qui était un livre, un livre m’expliquant comment atteindre tous mes objectifs, comment prendre la place que je méritais, comment égaler voire surpasser mon aînée … Je me sentais attirée par lui, je devais le cacher et faire ce qu’il m’ordonnait. dedans une note m’invitait à un nouveau rendez-vous … Cette fois-ci je serais prête et je ne me laisserais pas faire si facilement, je comprendrais qui il est et pourquoi il agissait ainsi. Et pourtant, la fois suivante j’étais à nouveau dans mon lit, incapable de l’empêcher d’agir et le manège se répéta de semaines en semaines. Petit à petit je faisais des rêves de plus en plus, je revoyais des images de mes parents, des flammes ; j’entendais les pleurs de ma sœur et les cris des autres victimes. Puis d’autres gens ailleurs qui mourraient eux aussi, à chaque fois la séquence était plus longue, me montrant des images de villes en flammes, d’enfants en pleurs et de cadavres sanglants, rappelant ce que nous avions vécu petites. Un ange en armure d’or marchait parmi les flammes et les corps signant son crime sanguinaire. Il retira son casque dévoilant le visage que je m'apprêtais à haïr et qui se révéla être celui de la Commandante Suprême.

Je cachais le livre et lui obéissait, je sentais au fond de moi qu’il se passait quelque chose, quelque chose d’important. Une essence qui naissait en moi et qui serait d’une puissance sans égale. Kayle était à l’origine des morts qui apparaissaient dans mes rêves, je l’avais découvert et j’en étais déjà certaine. Mais je devais en savoir plus, voir la guerre de mes propres yeux et l’empêcher de faire souffrir plus de gens.

Devant la cheminée le jeune homme ne se défendait même pas. Bien qu’il ait déjà entendu cette histoire être contée d’autres fois, il la connaissait même très bien et surtout il avait déjà vu d’autres enfants fuir. Et la maîtresse de maison n’aimait pas que l’on se substitue à son sermon. Il priait intérieurement pour que cette histoire se finisse différemment des autres fois ; qu’elle termine bien alors que cela était bien sûr impossible… Elle avait toujours été contée comme cela, et rien ne changerait pour lui.

Tous les matins j’avais pris l’habitude de retourner me promener dans les jardins dès mon réveil en espérant y apercevoir mon ravisseur nocturne. Bien sûr au milieu des allées fleuries et des buissons taillés je n’ai jamais aperçu de silhouette inconnue qui aurait pu être signe de sa présence. Cependant ce petit rite matinal me plaisait et me nourrissait d’espoir, respirer l’air frais du matin emplissait mes poumons de volonté et me permettait de plus me concentrer par la suite : cela avait remplacé les relations que j’avais avec les autres habitants du domaine.

En rentrant de ma balade quotidienne, le parfum délicat de viennoiseries tiédissant vint titiller mes narines. J’ai toujours eu un faible pour les pâtisseries mais je ne m’étais pas adonnée au plaisir d’y goûter depuis les drames qui avaient décimés ma famille. Elles étaient posées là, sur la table, pleines de sucre et de beurre. Allongée sur mon matelas je dégustais un délicieux morceaux de brioche. Jamais mon coussin ne m’avait semblé si moelleux. Je profitais de cet instant hors du temps, les yeux perdus vers le plafond.






Quelqu’un frappait à la porte et criait après moi ce qui me sortit de mes si douces rêveries. La personne poussa la porte et, je pu constater qu’il s’agissait en réalité d’un groupe de soldats, quatres anges en armure et armés qui venaient ici comme dans la maison d’une criminelle. En me voyant ainsi celui qui était le plus proche de l’entrée s'adressa solennellement à moi et interrompant mon petit-déjeuner. : “Mademoiselle, la Commandante suprême désire s’entretenir avec vous au plus vite !”. Bien sûr ses sous-fifres ne répondirent à aucunes de mes questions concernant la nature de cette entrevue. Pourquoi d’ailleurs ne venait elle pas elle-même ici ? Elle faisait appel à ses soldats pour venir quérir sa soeur … Elle avait oublié la famille que nous étions en même temps que ce que nous avons vécu ; en prenant le pouvoir. Tout cela lui était monté à la tête ! Sans prendre la peine de me préparer pour quoique ce soit de plus officiel je me levai, poing serrés et sorti de ma chambre, hors de moi. Je marchai d’un pas décidé à travers le bâtiment pour rejoindre les appartements de la “Commandante”. Les gardes me suivaient : “Ordre suprême” … Aurait-elle des soupçons ? Impossible … mon héros ne se montrait pas, ni à moi ni à personne … Si elle voulait me parler, alors je lui montrerais la vérité en face ! Cette rencontre attendait depuis trop longtemps.

C’était maintenant que le récit pouvait basculer dans un sens ou dans l’autre .. Morgana s'arrêta de parler quelques instants, même pour elle ce moment était une épreuve à raconter. Cette discussion scella sa rivalité avec sa soeur pour l’éternité. L’enfant avait les yeux fermés, il ne supportait plus de voir cette pièce à l’ambiance morbide, toute la haine qui bouillonnait dans l’esprit de Morgana avait attisé les flammes mauves qui avaient prises la place dans toute la pièce. Elle pris tira la tête du garçon face à elle et jetait ses mots à son visage. “Ouvre les yeux .. regarde les miens ! Vois ce que j’ai vu ! Sens ce que j’ai ressenti !”